Cet article fait partie d'une collection d'enquêtes/interviews/chroniques de Pascal Montjovent parues dans divers médias et réunies ici suite à une demande "populaire".
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Jean-Jacques Annaud

à propos de "Sept ans au Tibet"

Tribune de Genève

Couronnant quatre ans de labeur par une campagne de promotion de quatre mois sur plusieurs continents à la fois, Jean-Jacques Annaud ne laisse rien paraître de sa fatigue. Tout juste s'étonne-t-il de cette campagne de presse qui insiste sur le sponsor gênant de Harrer durant son expédition: le parti national-socialiste. "C'est un dévoiement, une façon de ne pas parler du film. Nous n'avons jamais tenté d'occulter son passé plus que discutable. Au contraire." L'oeil pétillant, il se penche en avant: "Entre nous, je trouve que ça rend son cheminement intérieur encore plus exemplaire. Plus dramatique." Il s'enfonce dans son fauteuil et soupire. "Il n'y a qu'en France et aux Etats-Unis que les journalistes s'échinent sur le sujet. Ailleurs, on parle du film."

Grand maître et petits bonzes

Alors parlons du film. "Le premier montage durait deux heures quarante, mais avait des allures de drame soviétique. Etonamment, les responsables du studio me suppliaient de ne plus toucher au film. Je l'ai tout de même resserré à deux heures dix. C'est pour moi une durée idéale. J'ai pris des risques stylistiques, rompu avec la règle des trois actes, et insisté sur la première partie, le voyage vers Lhassa, qui est pour moi la phase de macération du personnage."
"Sept ans au Tibet" marque la première collaboration d'Annaud avec John Williams, le compositeur favori de Spielberg. Le cinéaste s'enthousiasme: "Travailler avec John est un bonheur absolu. il compose à l'ancienne, sans assistants, et met sa connaissance encyclopédique de la musique au service de chaque film. C'est de plus un grand homme de cinéma. Le premier jour de notre collaboration, sur un pré-montage plus qu'approximatif, il m'a proposé à la demi-seconde près les entrées et les sorties de la musique. Elles correspondaient exactement à celles que j'avais envisagées. C'était époustouflant. Il a ensuite passé six mois de sa vie à composer la partition."
La direction d'acteurs est l'un des points forts du film. Comment dirigeait-il le garçon qui jouait le jeune Dalaï Lama? "Plutôt que de lui tenir de longs discours, je lui parlais de lui et de la vie. "Si tu était responsable de ton peuple à ton âge, comment te comporterais-tu?" Ça lui suffisait. Les Tibétains ne jouent pas. Ils ne sont pas obnubilés par la caméra - ils restent eux-mêmes en toutes circonstances. Ce jeune Tibétain n'avait jamais vu de film avant le tournage."

La quête du Lama


Trouver le garçon a dû être une aventure en soi? "Effectivement. Nous avions lancé un casting international. Mais six mois de recherches intensives dans toutes les écoles, les villages et les monastères de la diaspora tibétaine n'ont servi à rien. Puis un dimanche, une collaboratrice m'appelle et me dit: "Un enfant extraordinaire vient de frapper à la porte de mon bureau pour m'emprunter une cassette vidéo. Il arrive d'une province reculée du Bhoutan, il n'avait jamais pris l'avion. Il a quatorze ans et c'est un rayon de soleil".
Cette quête rappelle celle qu'organisent les moines pour trouver la prochaine réincarnation du Dalaï Lama. "Ce que vous me dites est étrange, parce qu'un moine recruteur m'a confié, après un repas dans un monastère très isolé, que lui et moi faisions le même métier: nous étions tous deux en quête d'un enfant lumineux. Il m'a demandé quel était mon principal critère pour choisir mes acteurs. Je lui ai répondu: le regard, la lueur au fond des yeux. Il a acquiescé."


Interview: Pascal Montjovent