Du fond de son ranch numérique, George Lucas fait rêver la planète

Une semaine avant sa sortie, personne n'aurait parié sa plus vieille chemise sur cette "fantaisie spatiale" réalisée dans des conditions épouvantables et arrachée à son réalisateur par un studio plus que sceptique. Star Wars connaîtra pourtant un triomphe public, critique, technique et artistique sans précédant. Il aura transformé en profondeur l'art et la manière dont le cinéma serait conçu à l'avenir. Ce film allait à lui tout seul renverser la vapeur d'un cinéma triste et ronronnant, et provoquer des vocations innombrables parmi les jeunes, un rien désorientés dans ces années septante finissantes. Ce séisme était né dans le cerveau d'un homme dont l'obstination valait bien le talent: George Lucas. Un homme poursuivi par une obsession d'indépendance.

L'inventeur du futur

Indépendance d'esprit, puisque son film, bien qu'inspiré de la mythologie, des contes et des légendes, ne s'inscrivait dans aucun courant artistique, qu'il n'a pas crée de mode et qu'il ne s'est donc jamais démodé.
Indépendance technique, puisque cet ancien monteur a imaginé et concrétisé EditDroid, une table de montage entièrement numérique qui permet une flexibilité souhaitée par des générations de monteurs qui passaient leur temps à rembobiner des monceaux de pellicule pour retrouver un plan perdu. Vingt ans après, ce système est devenu un standard. Il souhaitait que les bande-son de ses films soient parfaitement restituées, et il a crée le label THX, que les meilleurs cinémas de la planète sont fiers d'arborer aujourd'hui. Il préconisait un cinéma majoritairement digital, qui libérerait les créateurs des servitudes de la matière, et voilà que ce cinéma pointe le bout de ses bobines dans Forrest Gump, et atteindra sa maturité le 25 mai 1999, date de sortie du premier volet de la future trilogie de Star Wars, qu'il réalisera personnellement.

Le marchand visionnaire

Indépendance financière aussi, puisque ses choix se sont tous révélés judicieux, et qu'il a pu s'affranchir ainsi de la pesante tutelle de s grands studios.
Tout ça parce qu'au plus profond de l'adversité, il a toujours cru en ce qu'il faisait: alors que Star Wars n'était qu'un projet intitulé "Les Aventures de Luke Skywalker, Extrait du Journal des Whills, Saga Première: Les Guerres des Etoiles", il achetait à la Fox les droits pour les suites éventuelles, ainsi que pour les produits dérivés du film. La compagnie les lui céda d'un coup de plume, en souriant. Haïssez-le ou admirez son flair: il venait d'inventer le merchandising. Et de poser les bases de Lucasfilm Limited, sa propre compagnie. Dès lors, adieu les concessions. Avec L'empire contre-attaque, il épongea ses dettes. Avec le Retour du Jedi et Les Aventuriers de l'arche perdue, il posa les bases de son empire. Son ranch, baptisé Skywalker, allait bientôt servir de camp de base aux meilleurs cinéastes: Wim Wenders, Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, Philip Kaufman, des dizaines de scénaristes, d'artistes et de techniciens de premier ordre viendront régulièrement y refaire le monde.

Pascal Montjovent