PME magazine / juillet 99

Les PME balbutient encore sur le web


Tout le monde a un PC, tout le monde s’estime donc capable de créer un site web. Les PME confient souvent leurs sites à des amateurs enthousiastes. Sur la Grande Toile, les résultats sont affligeants.


Dans la phase pré-adolescente qu’il traverse actuellement, internet exsude à tous les niveaux un amateurisme bon enfant: de l’orthographe chancelante aux liens qui aboutissent à une impasse, du graphisme plus qu’approximatif au référencement aléatoire dans les moteurs de recherche, le web vu d’oiseau ressemble à une fourmilière quelques instants après qu’un malotru y ait donné un grand coup de pied. Passe encore si le phénomène ne touchait que les sites des particuliers, mais les PME figurent au premier rang des accusés.

La présence crédible d’une entreprise sur le web dépend encore trop de la familiarité de son directeur ou d’un employé avec la Grande Toile. La librairie Reymond de Lausanne doit par exemple beaucoup à un employé, Cédric Schwarz (assisté de Pierre Klamdy, ingénieur informaticien), qui ont mis au point le site de vente virtuel du magasin, plutôt réussi. Une expérience qui, à défaut d’être très rentable, accroît de beaucoup la notoriété de la librairie et la positionne comme pionnière dans ce domaine. Sans une impulsion personnelle - le plus souvent bénévole - la présence online d’une entreprise doit encore beaucoup au hasard. Il est ainsi fréquent de découvrir qu’une grosse PME a confié son site web au fils de l’un de ses cadres, passionné d’informatique et amateur de logos tourbillonnants. Et ceci avec ou sans la bénédiction des responsables de la communication.
“Nous sommes dans une phase de pré-assainissement du marché”, confirme Clément Colliard de Nodus, spécialisé dans le référencement professionel de sites dans les moteurs de recherche. “D’un côté les agences de webdesign pulullent (elles se comptent par milliers), de l’autre seuls treize pourcent des entreprises suisses ont un site. La marge de progression et d’ajustement est considérable.”

Le choix d’une stratégie internet semble ainsi dépendre de la foi, et non de la logique commerciale.
A ce titre, l’exemple paradoxal d’amazon.com, le plus grand magasin du web, suscite deux types de réactions. Les enthousiastes s’extasient devant son ascension à Wall Street, les sceptiques rappellent que la société n’a jamais fait un “cent” de bénéfice. Le commerce le plus en vue d’internet, cité par tous les internautes comme un exemple de respect du client et de service impeccable, fournit ainsi aux détracteurs des arguments cinglants. Ce qui pousse les dirigeants d’entreprises à confondre site web et magasin online, et à bouder l’un en snobant l’autre. Comment expliquer sinon la frilosité helvétique? La moitié des grands patrons romands, selon une récente étude de Pricewaterhouse Coopers, ne croit pas ou peu au web pour attirer de nouveaux clients. Soixante-huit pourcent avouent leur manque d’intérêt pour ce nouveau média.
Cette méconnaissance des enjeux stratégiques de communication risque de porter des mauvais coups aux “mécréants” du Net. Parce que sur internet, l’expérience nord-américaine le prouve, les premiers arrivés occupent le terrain le plus lucratif à moyen terme. Si amazon ne génère aucun profit, c’est parce qu’elle fait le choix de réinvestir chaque dollar pour améliorer ses prestations. Mais Dell ou CD Now, d’autres tenants du commerce électronique, sont largement bénéficiaires.

Cela dit, rien n’excuse l’insigne pauvreté graphique et navigationnelle de l’écrasante majorité des vitrines virtuelles “corporate” des entreprises européennes. Elles se contentent pour la plupart d’afficher leurs rapports annuels au kilomètre, conscientes sans doute de l’incompatibilité totale avec le média web, mais trop paresseuses pour améliorer leur image de marque online. “On ne peut pas se plaindre de ne rien vendre ou de n’attirer aucu visiteur sur un site alors que son contenu est lamentable”, assène Clément Colliard. “C’est pourtant l’attitude d’une majorité de PME. Les conclusions tirées d’une première expérience sur le web sont souvent négatives, mais les moyens mis en oeuvre au départ sont insignifiants. Dans le monde réel, une plaquette d’entreprise bâclée ne provoquerait sans doute aucun résultat, et personne ne s’en étonnerait. Il en va de même sur internet: la fin justifie les moyens.”

C’est également la gabegie au chapitre du référencement dans les moteurs de recherche, cette phase cruciale au cours de laquelle il s’agit de courtiser les robots fouineurs de la grande toile pour qu’ils viennent renifler les mots-clefs du site et les mémoriser. Lors d’une enquête parue dans le webdo mag, nous avions trouvé qu’une obscure confiserie “chocolats de Neuchâtel” était mieux référencée que Lindt, et attirait ainsi davantage de clients américains ou japonais, qui cherchaient les mots “fine swiss chocolates” sur Altavista, le plus gros moteur du web. Actuellement, c’est la confiserie genevoise Arn qui apparaît le plus souvent dans les résultats. Le site, lancé en juillet 98, est le fruit du travail acharné du patron, qui a eu la sagesse de s’appuyer les services d’un professionnel. Passionné comme il se doit par internet, Monsieur Arn ne souhaite pas forcément augmenter son chiffre d’affaires: “Dans un premier temps, il s’agissait surtout d’être présent sur internet. J’ai confié la réalisation des quatre ou cinq premières pages à un pro, mais je me charge de l’entretien et de la mise à jour”. Les résultats, en terme de fréquentation, ne se sont pas fait attendre: “Nous recevons entre 170 et 250 visites par jour. La moitié des internautes sont suisses, et parmi les étrangers figurent sept pourcent de Japonais”. Monsieur Arn juge l’expérience satisfaisante. “Même si les ventes réelles sont marginales, le signal que nous envoyons à nos clients, à savoir notre souci d’évolution et de communication, nous semble primordial.”

Pascal Montjovent

www.chocolates.ch
www.nodus.ch
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Encadré


Traquez l’amateur



A quoi reconnaît-on l’amateursime d’une société de création de sites web? A son site web, précisément. “Le webdesigner qui ne peut pas donner d’exemples de sites qu’il a conçu doit éveiller votre méfiance. Soit il n’a rien à montrer, soit il a honte de ce qu’il a créé” confie Clément Colliard de Nodus.ch, qui passe en moyenne six heures par jour sur internet.

- Un autre critère important est le langage utilisé, qui doit être en adéquation avec vos attentes. Si vous avez deux cent francs en poche et que vous cherchez une montre, vous vous sentirez mal à l’aise chez Beaume et Mercier. De même, le patron d’une boulangerie serait perdu sur le site de xo3.com, une société genevoise qui propose un système révolutionnaire d’organisation de l’information basé sur la neuroscience. A l’opposé, un patron qui cherche l’intégration d’une base de données clients à son futur site interactif ne se sentira aucune affinité avec un webdesigner de seize ans qui tapisse son site d’animations new age et de “cool” intempestifs.

- Le graphisme est également un indicateur précis de l’expertise de la société de webdesign. Tapageur, il signale un débutant enthousiaste. Harmonieux et discret, une société déjà “installée”. Sur le web, la palette va des sites purement informationnels aux sites uniquement esthétiques. Si l’on caricature un peu, les graphistes préfèret les fonds sombres, alors que les fonds clairs signalent une priorité informationnelle. A vous de choisir votre camp.

- La création d’un site n’est de loin pas suffisante pour exister sur internet. Les webdesigners qui négligent le référencement sont d’authentiques amateurs.

- Les pages moisies devraient vous faire détaler. Le web est un média vivant, et les pages “d’actualités” qui datent de deux mois signalent du laisser-aller.
Pour être tout à fait juste, il faut admettre que certaines sociétés s’occupent si bien de leurs clients qu’elles négligent leur propre site. L’adage “le cordonnier est toujours le plus mal chaussé” a son pendant sur le web.
En cas de doute, faites un petit tour sur autoweb.net, qui a fait de l’audit de sites web sa spécialité.

PM

www.xo3.com
www.autoweb.net