Cet article fait partie d'une collection d'enquêtes/interviews/chroniques de Pascal Montjovent parues dans divers médias et réunies ici suite à une demande "populaire".
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A EasyJet, les employés sont des “sans-papier”

Philippe Vignon, marketing manager d’EasyJet, est un sans-papiers. Rassurez-vous, il ne sera pas pour autant refoulé à la frontière manu militari. Par sans-papiers, il faut entendre “paperless”, un terme branché qui définit un nouveau type de gestion de l’information dans les bureaux. Et qui vise à fluidifier la circulation des informations en bannissant, autant que faire se peut, toute forme de paperasserie. C’est l’une des possibilités offerte par la mise en réseau planétaire des ordinateurs, autrement dit par internet. Rares sont les entreprises qui ont évalué correctement les potentialités - en termes d’économies et de productivité - de cette énorme toile qui se tisse sur la planète. Que ce soit en logistique, en marketing ou en relation avec la clientèle et les fournisseurs, internet offre des solutions que les PME ne soupçonnent même pas.
“EasyJet se doit d’adopter une structure de coûts de cinquante pourcents inférieure à celle des autres compagnies aériennes. Le paperless y contribue dans une mesure non négligeable” affirme Philippe Vignon. Après six ans chez L’Oréal comme chef de produit puis directeur de marque, il est entré il y a huit mois chez EasyJet et se trouve déjà être, à trente six ans, le doyen de l’équipe de marketing. “L’adoption rapide de ce système est aussi une question de génération. Ne pas avoir de papier dans les mains peut désarçonner dans un premier temps. J’ai passé des années devant Word et Excel à empiler des mémos, imprimer et classer des dossiers, chercher des documents et mettre des rapports sous plis. Quand je vois ce que je gagne en efficacité, en productivité grâce au nouveau système, je suis persuadé que je ne retournerai plus jamais dans le monde du papier”.

temps réel

Ecarter la paperasserie signifie aussi, dans une large mesure, se charger soi-même des travaux de secrétariat. Exit les secrétaires et les assistants. “A mon sens, le paperless doit faire partie du lancement d’une société. Installer ce système sur une structure “à l’ancienne” doit être ardu”, tempère Philippe Vignon. “EasyJet s’est développée à un rythme qui eut été inconcevable si nous n’avions pas virtualisé toute son administration. A part ses avions et ses mille employés, c’est une société virtuelle. Les bureaux de la maison mère à Londres sont parqués dans un hangar, les call centers sont animés par des étudiants payés à la commission, et soixante pourcent des réservations se font par internet - un chiffre qui augmente sans cesse. Nous encourageons les réservations online, ce qui nous apporte une souplesse et une interactivité précieuses.”
“Au plus fort de la crise sur le vol de Barcelone entre Swissair et nous, j’ai pu construire une campagne de pub et contre-attaquer en dix heures. Alors que Swissair soupesait encore les stratégies possibles, nous créions une SàRL et vingt-quatre heures plus tard nous pouvions offrir une solution à nos passagers. Jamais une telle rapidité n’était envisageable dans le monde du papier et du timbre.”

l’info par tous, pour tous

Le paperless repose sur une philosophie qu’EasyJet a volontiers fait sienne: tout le monde a accès à l’information. Il est bien sûr possible de protéger certains répertoires avec des mots de passe, mais le principe soufre d’assez peu d’exceptions. “La rétention de l’information peut asseoir le pouvoir. Changer cela, briser les goulets d’étranglement revient à modifier la perception du flux d’informations dans l’entreprise. L’info change de statut: on la consomme, on la digère, on la jette, et on la retrouve à la minute où l’on en a besoin, plus tard et ailleurs. L’instantanéité modifie aussi notre respect de l’information. J’en veux pour preuve le contenu des e-mails, très différent de celui d’une lettre. Un e-mail s’écrit, s’envoie, se consomme et se jette à une vitesse sidérante. Une lettre a un statut plus noble.”

en pratique

“Comment ça marche? Les employés n’ont pas de bureau fixe. Ils sont tous munis d’un ordinateur portable et d’un téléphone mobile. Certains ajoutent un Palm, l’un de ces assistants électroniques qui se synchronisent à leur portable. Nos bureaux sont équipés de postes fixes et de lignes de téléphones bien concrètes, mais ils sont facultatifs. Nos serveurs, qui contiennent tous les documents, sont à Londres. Pour nous connecter, nous utilisons l’ASDL, mais nous aurons bientôt des lignes louées. Supprimer le papier, emporter nos bureaux avec nous où que nous soyons revient à transporter en permanence vingt classeurs fédéraux, une photocopieuse, un fax, et une ribambelle de petits appareils. C’est aussi économiser par rapport au coût exorbitant du loyer de grands espaces.”
“Nous utilisons le système Citrix, qui permet d’activer des applications à distance. Chaque bureau comporte une boîte d’entrée et une boîte de sortie de documents ainsi qu’un accès aux archives, que constituent l’ensemble des documents reçus, traités et envoyés par tous les employés. Chacun est libre de se constituer, sur son bureau, des archives personnelles, c’est-à dire des raccourcis pour accéder plus rapidement à certains documents. Ces archives personnelles sont purement virtuelles: les documents n’y figurent pas réellement. Ce ne sont que des “alias” dont l’activation provoque l’ouverture de l’original. Chaque document possède son histoire. On sait qui l’a émis, reçu, jeté, transféré, où il est archivé par chaque employé, s’il a été lu, etc.”
Sur le bureau de Philippe Vignon, on trouve certaines applications interactives, dont EZnet, qui donne en temps réel l’état du trafic aérien (et des retards) de la compagnie, ainsi que les noms des équipes à bord. Avec EZreport, il peut jauger, en temps réel ici aussi, l’évolution du nombre de places vendues, du chiffre réalisé, analyser les périodicités et cibler au plus juste le moment et la nature d’une campagne de pub. EZinvoices est un logiciel de comptabilité. Openres surveille en permanence l’état des réservations, et permet d’adapter l’offre à la demande en jouant sur les prix des billets.
“Pour travailler ensemble sur un projet, nous pouvons définir un ordinateur et travailler à plusieurs dessus. Tous les participants ont le même écran, et voient la même souris bouger sur le même document.”
Les imprimantes sont rares à EasyJet, et un scanner sert à archiver les rares factures papier. Le gros du travail de scannage est effectué à Londres. Les fax ont effectivement disparu. “Quand je veux envoyer un fax à trois cent journalistes, je glisse le document sur la rubrique “fax journalistes” et je passe à autre chose”.
Un seul hic dans cette structure virtuelle: la panne d’ordinateur, ou de réseau. D’où l’importance de l’équipe d’informaticiens qui papillonne dans les bureaux, et qui s’assure que le “backup” des données soit garanti.

A notre connaissance, EasyJet est la seule entreprise suisse à appliquer le paperless à 100%. S’il en existe d’autres, qu’elles signalent leur présence. Sans préjuger de l’avenir ni prendre le paperless pour une panacée, PME Magazine suivra le phénomène avec beaucoup d’attention.

Pascal Montjovent

www.citrix.com

Pascal Montjovent

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