Recherche informaticiens de pointe, désespérément

Jamais depuis les années 80 le marché de l’emploi dans le secteur informatique n’avait été si tendu. Jeunes ou vénérables, toutes les entreprises se mettent aux nouvelles technologies, mais peinent à trouver les indispensables cadres et spécialistes de pointe.


L’industrie du logiciel et des services informatiques traverse une de ses périodes de transformations technologiques les plus radicales, comparable à la montée du PC au début des années 80 et à l’émergence de Windows comme plateforme informatique de choix, il y a une décennie. La force motivante, cette fois, réside dans Internet, dont la croissance phénoménale a bouleversé toutes les prévisions sur l’industrie des technologies de l’information. Le navigateur Web, qui a été introduit de façon commerciale qu’en 1994, s’impose comme l’interface utilisateur de choix. La moindre application, les nouveaux appareils ménagers, les nouveaux système de gestion, tout se doit d’être web-compatible. Java, le langage de programmation par objets de la plateforme indépendante de Sun Microsystems, est perçu comme la solution à tous les problèmes de programmation. On présente l’ordinateur réseau comme un substitut au PC. Aujourd’hui, c’est dans l’informatique que se condensent les progrès les plus fulgurants et les plus décisifs. Ce phénomène, prévisible depuis cinq ans déjà, n’a pas pour autant motivé étudiants et formateurs à se lancer à corps perdu dans cette nouvelle filière: en Suisse comme ailleurs, les lenteurs et les blocages du système éducatif ont longtemps découragé les aspirants cadres tentés par des études de pointe. Résultat: une réelle pénurie de cerveaux qui handicape lourdement notre économie, basée davantage sur le savoir-faire que sur les matières premières.

migration des cerveaux
La plupart des pays industrialisés font face au même problème. Selon Strategis, un organe d’information aux entreprises canadiennes, le problème est d’une telle gravité qu’il a nécessité une modification drastique des lois sur l’immigration. Dans un rapport de juin 99, le département du commerce américain déplorait quant à lui que si peu d’efforts soient entrepris pour satisfaire une demande toujours croissante dans un secteur qui a participé à 35 pourcent à la croissance américaine de 1998. D’ici à 2003, il faudra trouver - rien qu’aux Etats-Unis - plus de 1.4 millions de programmeurs, cadres et ingénieurs en technologies de l’information. Une mission presque impossible.
En Allemagne, le chancelier Schröder a annoncé que son gouvernement allait faciliter l'immigration de quelque 30’000 informaticiens étrangers souhaitant venir travailler dans son pays, originaires principalement de l'Inde et de l'Europe de l'Est, afin d'occuper les emplois actuellement vacants dans cette branche outre-Rhin.
En France, où la pénurie de cadres et spécialistes en informatique est flagrante, “de nombreux observateurs prédisent que le gouvernement devra tôt ou tard s'adapter à cette nouvelle donne et modifier sa politique d’immigration” apprenait-on récemment dans le quotidien Libération.
En Suisse, il manquerait environ 10’000 cerveaux à la branche informatique. “Ici, les étudiants étrangers sont obligés de quitter le pays après leurs études, alors qu’ils rédigent 35 pourcent des thèses du poly”, regrette Christophe Guignard, directeur de production chez Alternet Fabric, une jeune entreprise lausannoise de pointe qui rafle des prix dans le monde entier. A la recherche d’un nouveau collaborateur, Stéphane Tinner, directeur d’IDB Soft à Yverdon, a du trouver son bonheur en Belgique. “Le recrutement à l’étranger est facilité par le web. Israël est aussi un remarquable vivier de talents dans cette branche”. “Nous trouvons des candidats très pointus en Angleterre” renchérit Angelo Marotta, bench manager d’Ajilon Computer People, une agence de placement dépendant d’Adeco.

bouche-à-oreille
Lui aussi éprouve d’énormes difficultés à dénicher des vrais professionnels: “Malgré les annonces dans la presse, sur le web et dans d’autres supports urbi et orbi, nous ne recevons que très peu de bons dossiers. La meilleure façon de tomber sur le bon profil, c’est de faire appel à notre réseau de connaissances, éparpillé dans le monde entier, et de se fier au “bouche-à-oreille” dans le milieu très fermé des techniciens et cadres de haut vol”.
“Les technologies high tech attirent un monde fou”, ajoute Stéphane Tinner, qui affirme avoir vu passer des dossiers effarants. “Il n’est pas rare de rencontrer des jeunes qui ont bricolé un site web, s’affirment spécialistes et réclament un salaire de ministre”. “Trouver le bon interlocuteur en matière de placement de personnel s’avère difficile. Nous avons eu des expériences calamiteuses avec l’Office Régional de Placement du canton de Vaud, alors que celui de Fribourg s’est avéré de bon conseil” note-t-il dans un soupir.

le goulet des écoles
Internet regorge de bidouilleurs plus ou moins géniaux, de hackers qui craquent des codes ultraprotégés en passant l’essentiel de leurs nuits devant leurs PC, correspondant avec d’autres pirates passionnés d’informatique. Ne seraient-ils pas des candidats idéaux pour ces postes vacants? pas forcément selon Stéphane Tinner. “Les bidouilleurs ne conviennent pas, essentiellement parce qu’ils ont l’âme rebelle et sont donc difficiles à diriger, et aussi du fait qu’ils ne documentent pas leur travail, privant leurs successeurs de renseignements indispensables. Nous préférons nous tourner vers les écoles techniques comme l’EPFL, ou les HES”. Et c’est là que le bât blesse. Avec 40 à 50 étudiants promus chaque année, l’EPFL est loin de pouvoir étancher la soif du marché. La demande est telle que le peu d’étudiants qui ont choisi cette voie trouvent un emploi une année avant de finir leur formation. L’inertie du système éducatif helvétique l’a conduit à sauter dans le train des nouvelles technologies avec un retard considérable, qui se répercute maintenant sur l’offre. Angelo Marotta de Computer People estime que les premiers étudiants réellement formés aux spécificités des NT ne sortiront des écoles que dans trois ans. “Pour pallier à ce problème, il n’est pas exclu que nous mettions nous-mêmes sur pied un programme de formation crédible” ajoute-t-il. Encore faut-il savoir attirer les élèves dans les écoles. “De ce point de vue, les choses s’améliorent quelque peu puisque 340 étudiants commencent leur première année actuellement, ce qui représente une nette augmentation par rapport à l’an dernier - même si la moitié d’entre eux ne terminera pas les quatre ans et demie d’études qui les attendent” relève Claude Petitpierre, directeur du Département Informatique de l’EPFL.
“En dehors des polys, les cours actuels sont trop souvent incomplets” renchérit Christophe Guignard. “Les professeurs eux-mêmes n’ont pas toujours le bon niveau. La classe multimédia de l’ERAG (Ecole Régionale des Arts Graphiques) ne compte qu’une dizaine d’élèves par année, et l’ECAL n’enseigne pas le web.”
“Il y a des pesanteurs administratives énormes qui s’opposent à la rapidité de réflexe propre au web et aux nouvelles technologies” remarque Hervé Graumann, artiste et professeur d’informatique à l’Ecole Supérieure d’Arts Visuels.”Il m’a fallu deux ans et demi pour obtenir l’autorisation de poser les pages web de mes élèves sur le serveur de l’Etat de Genève. Nous dépendons du Secondaire, qui est moins chouchouté que les universités dans le domaine.”
Dans son “Message relatif à l'encouragement de la formation, de la recherche et de la technologie pendant les années 2000 à 2003”, le Conseil Fédéral affirmait l’année dernière: “Il ne suffit plus d’apprécier nos forces, de dénoncer nos faiblesses et de mettre en cause l’atomisation du système, ses rigidités, l’immobilité des étudiants, l’insuffisance de la valorisation des connaissances, la représentation insuffisante des femmes : il faut oser faire des réformes audacieuses pour mieux exploiter notre remarquable potentiel. Il ne suffit plus de dire que la formation, la recherche et la technologie sont les principales ressources de notre pays quand ces ressources sont menacées : il faut passer aux actes et oser investir.”

Pascal Montjovent

www.idbsoft.ch
www.fabric.ch
www.epfl.ch
http://www.edutech.ch/edutech/resources_types_f.asp

Texte intégral du Message du Conseil Fédéral
http://www.admin.ch/bbw/bbtf/bbtfindex.html


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Trouvez la perle rare online

31 pourcent des pages web consultées en Suisse sont celles des offres d’emploi, selon un récent sondage Remp. Il est vrai que le média se prête particulièrement à ce genre d’échange. Bien évidemment, les postes informatiques se taillent souvent la part du lion sur la toile électronique. Il faut cependant savoir que les informaticiens de pointe ne poseront pas forcément leur candidature sur monster.com. Dans ce domaine, il vaut mieux se fier à des “renifleurs” professionnels, sur leurs sites propres.

www.computerpeople.ch
www.swisswebjobs.ch
www.idealjob.com
www.fr.jobpilot.ch
www.monster.com
www.monster.fr
www.cadresonline.com
www.emailjob.com
www.init-emploi.tm.fr
www.carrermosaic.tm.fr
www.joblive.com

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encadré 2
bourses d’études

Grâce au double soutien du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique et du Fonds National pour la Recherche Énergétique, en plus de sa propre contribution, l’Académie Suisse des Sciences Techniques (SATW/ASST) est en mesure d’offrir à de jeunes ingénieurs praticiens des bourses d’études et de recherche d’une durée d’un an à l’étranger. Les personnes intéressées peuvent obtenir des renseignements complémentaires et le formulaire inhérent à la demande de bourse à l’adresse suivante: Commission de Recherche de la SATW, Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne, ISR-DMT, 1015 Lausanne. Tél. 021 693 78 06, Fax 021 693 38 66.

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note à la rédaction:

merci d’envoyer le magazine à

Stéphane Tinner
IDB Soft
rue Galilée 15
1400 Yverdon

Christophe Guignard
Alternet Fabric
Lausanne


Angelo Marotta
Ajilon Computer People
Genève


Hervé Graumann
ESAV
2, Général Dufour
1204 Genève