Le Net produit des milliardaires... virtuels Webdo Mag, mars 99 Ils ont la trentaine, valent plusieurs centaines de millions de dollars mais louent leur appartement et roulent en Honda. Ce sont les nouveaux millionnaires du web, visionnaires et débrouillards, que Wall Street courtise mais dont la fortune est purement virtuelle. Comme tout Eldorado qui se respecte, le web a permi aux plus malins de ses pionniers de se construire des fortunes colossales en deux ou trois ans, et de faire leur entrée, rubrique nouveaux riches, dans les listings de Forbes ou de Fortune. Misant sur le bon cheval, exploitant un filon ou créant de nouveaux besoins virtuels, ils illustrent à merveille ce qui subsiste encore du rêve américain. Mais là sarrête lanalogie avec la ruée vers lor, époque bénie où une pépite dor avait un poids bien concret, et pouvait séchanger contre des liasses de billets verts. Aujourdhui, les fortunes sont plus volatiles, et le poids économique dune entreprise ou le flair, le savoir-faire et les talents de son PDG ne valent plus rien en tant que tels: lentrée en bourse du web a définitvement coupé ses dernières racines avec le monde réel. Léclosion subite de ces nouveaux millionnaires est due à lentrée dans larène de Wall Street de 25 sociétés qui vendent des services et des produits virtuels basés sur lInternet. Wall Street sest tellement entichée de ces compagnies que la vertigineuse chute de 299 points du Dow Jones, le 4 août dernier, na que très peu affecté leur position relative. Pour preuve, à la fin de ce mardi noir, 30 décisionnaires de ces 25 compagnies possédaient encore chacun des parts de plus de 10 millions de dollars sur leurs sociétés respectives. Ces parts ne valent pour linstant que le prix du papier sur lesquelles elles sont imprimées. La loi américaine est en effet intraitable sur ce point: il est obligatoire dattendre au moins six mois avant de songer à vendre ses actions à la suite dune entrée en bourse. Certaines entreprises édictent des règles beaucoup plus strictes, allongeant ce délai de 3 à 130 ans. En attendant, les géants du web sont estimés à leur valeur de rachat éventuel, et leurs PDG aux prix fixés par les chasseurs de têtes. Tant de virtualités et dhypothèses donnent le tournis. Ce dautant plus que cette première génération de millionnaires du web essuie les plâtres. Personne navance la moindre hypothèse quant à leur avenir: retraite anticipée, projet concerté révolutionnaire, faillites prématurées? Toujours est-il que leur quotidien ressemble à celui de stars du showbiz: traqués par des banquiers, harcelés par des agents dassurance ou des compagnies immobilières, ils suivent des cours pour protéger leurs enfants contre déventuels kidnappings. Limportant pour eux est surtout de durer dans un marché très instable. Et à ce propos, la seule recette est davoir financé lentreprise sur des fonds propres dès le début, comme les frères Olim de CDNow. Dans le cas contraire, les millions rejoignent la poche des investisseurs extérieurs. Avoir les liquidités nest pas tout, encore faut-il accepter des risques énormes: Michael Saylor (diplômé avec les plus hautes mentions du MIT en astrophysique, astronomie, sciences, technologie et sciences sociales) a dû garantir 10 millions de sa fortune personnelle pour que sa société, MicroSystems, puisse entrer en bourse. Ce fut un succès, qui lui vaut aujourdhui dêtre détenteur de 75% des parts de la société, soit denviron 770 millions de dollars. Investir dans ce genre daventure représente des risques, et vous perdez votre santé si vous y réfléchissez trop, mais je préfère perdre royalement que de gagner médiocrement confiait ce fils de militaire au terme de son année décisive. Tout le monde na pas les épaules aussi solides, et lorsquil sagit de récompenser et fidéliser leur personnel sans toucher à largenterie, les compagnies virtuelles distribuent des parts à tour de bras. Ce qui passe pour de la magnanimité aujourdhui pourrait bien savérer être un piège dans quelques années, puisque ces actions sont évaluées davantage sur un potentiel que sur un résultat financier concret. Quarrivera-t-il lorsque, dans deux ans, les actionnaires voudront convertir leurs parts en espèces sonnantes et trébuchantes? A Wall Street, le succès ne se mesure quà long terme déclare K.B. Chandrasekhar, PDG dExodus Communications, un gros fournisseur daccès internet. Wall Street ne pardonne pas lerreur. Si vous passez à côté dune opportunité, vous naurez jamais de seconde chance. Et vous deviendrez un paria. Ces fortunes paradoxales et les mécanismes sournois qui en découlent devraient pousser quelques uns des jeunes millionnaires actuels à réinvestir leur poids économique dans des start-ups, ces petites compagnies audacieuses qui se constituent sur une simple idée et une réunion de talents. Jason Olim, co-fondateur de CDNow, se déclare prêt à repartir dans de nouvelles aventures virtuelles: Je ferai mieux la prochaine fois promet-il dans son entretien avec Inter@active Week. La retraite, ce nest pas mon genre. Pascal Montjovent encadrés Jeff Bezos Ancien réparateur de tracteurs Caterpillar dans une ferme du Texas, Jeff Bezos, directeur dAmazon.com, est aujourdhui à la tête dune librairie qui arrose 160 pays et génère un chiffre daffaires de 147 millions de dollars par an, augmentant en une année de 841% - sans rapporter un seul dollar de bénéfice depuis son lancement. Sur le marché, la tête de Jeff Bezos vaut pourtant, bon an mal an, 2 milliards de dollars. Ses études à Princeton, sa licence avec les honneurs du jury et surtout sa carrière plus quhonorable à Wall Street lui ont appris à considérer la précarité de sa situation. Chez Amazon, il a fabriqué lui-même son bureau avec une vieille porte en bois. Les frères Olim Frères jumeaux, Jason et Matthew Olim ont fondé CDNow, LE magasin virtuel de CD par excellence. La fortune virtuelle de chacun des frères est estimée à 37 millions de dollars. Ils ont 28 ans et ont commencé, comme il se doit, dans leur cave en empruntant 80000 dollars à leurs parents. Une somme quils commencent à rembourser seulement aujourdhui, dans limpossibilité quils sont de toucher ne serait-ce quune portion de leur magot. Je possède une seule action, confiait Jason récemment à Inter@ctive Week, et je nai même pas le droit de léchanger. Paul Gauthier A 25 ans il se déclare, dans lordre, amateur de fast-food et informaticien dans une boîte quil a fondée il y a trois ans, Inktomi. Spécialisé dans ce quon pourrait appeler le calibrage dinternet, il a modifié la manière de chercher des informations sur la grande toile, en exploitant au mieux le réseau existant. Hotbot, ainsi quun agent de shopping intelligent, ont popularisé lentreprise et propulsé sa valeur, qui fut cotée à plus dun milliard lannée dernière. Ces chiffres sont surréalistes - cest surtout beaucoup de papier reconnaît le jeune prodige, qui ajoute aussitôt quil naurait de toutes façons pas le temps dacheter une nouvelle maison, de réviser sa garde-robe ou de soffrir des banquets mémorables. Jerry Yang et David Filo Jerry Yang est lun des noms qui revient le plus souvent lorsquon mentionne les fortunes éclair du web. Cest parce quils cherchaient une bonne excuse pour retarder leurs doctorat que Jerry et son ami David Filo ont fondé Yahoo. Ce qui est aujourdhui le plus utilisé des moteurs de recherche du web a démarré comme une liste des sites favoris des deux compères. Jerry Yang, immigré taïwanais, est arrivé aux Etats-Unis à 10 ans. A 12 ans, il parlait couramment laméricain. Doué en Sciences et en Maths, il entre à Stanford en 1990, où il rencontre David Filo. Ce dernier construit la base de données tandis que Yang met au point une stratégie commerciale, et la formule attire un succès foudroyant. Il en est encore tout surpris: Ce succès est étrange, irréel et insoutenable dans tous les sens du mot. Il pourrait sévaporer demain avouait-il à un journaliste de Forbes Magazine. Il ne pratique quun seul hobby (collectionner des sites web), na toujours pas fini son doctorat, et vit encore dans le campus de Stanford. Pascal Montjovent retour au sommaire |